, , « J’ai vraiment misé sur l’émotion pour toucher les gens » : Fleur Hèssou, réalisatrice de « Italè »

Dans le cadre de la deuxième édition du Festival des Films de Femmes de Cotonou (FIFF-Cotonou), la Béninoise Fleur Hèssou, réalisatrice du film ITALE nous a accordé une interview. Au cours de cet entretien, la cinéaste nous a parlé de son premier film sélectionné pour le compte de ce festival. Elle s’est également prononcée par rapport au cinéma en général et celui béninois en particulier.

ITALE signifie identité en Nago. J’affectionne particulièrement cette langue parce que c’est celle de ma mère. En plus, je trouve ça très beau. Si je devais faire tout le film en Nago, ça aurait été  compliqué. Je ne comprends pas la langue. Ma mère ne la pratique pas. Personne ne parle la langue dans mon entourage à part mon feu grand-père.

Pourquoi ce film ?

Le sujet d’identité, j’ai voulu en parler parce que ça me tient tellement à cœur. J’ai voulu mettre la lumière sur les hommes irresponsables, qui fuient leur responsabilité et par la même occasion m’adresser aux jeunes filles qui pensent que tomber enceinte peut fidéliser un homme.

La question que mon film pose, c’est de savoir « jusqu’à quand les erreurs des parents plongeront leurs progénitures dans la quête d’identité sans fin » ?

Je raconte dans ce film l’histoire d’une jeune fille qui ne se sentait pas bien traitée par son beau-père et décide d’aller connaître son vrai père. Comme on le dit, « le sang appelle toujours le sang ». L’enfant finit toujours par chercher qui sont ses vrais parents.

Affiche officielle Italè

La particularité de « Italè »

J’ai vraiment misé sur l’émotion pour toucher les gens. J’ai pu constater dans la salle de projection que les gens étaient émus puisque ça a suscité des réactions. Cela me fait plaisir  parce que mon objectif est atteint.

Les prix reçus avec cette réalisation

Dès sa sortie, j’ai reçu le prix spécial Canal + « meilleure réalisation » sur le festival Ciné 229 au Bénin. Le film a été sélectionné sur certains festivals comme le Fespaco. Il a aussi reçu l’Amazone Tella Kpomahou, prix de la meilleure interprétation au FIFF 2021.

Mon objectif c’est de participer à nouveau au Fespaco. De plus,  il y a certains festivals que je cible. J’ai également Canal+ et A+ dans mon viseur.

Amazone Tella Kpomahou de la meilleure actrice

Un pur hasard

Etre réalisatrice n’a jamais été un rêve pour moi. Je n’y ai jamais pensé. Après mon Bac, je cherchais quoi faire comme filière. Il y a un client à ma mère, qui est agent dans une école de Cinéma de la place. Il m’a demandé de passer voir un peu les offres de formation disponibles. C’est comme ça que je me suis rendue à  (Institut Supérieur des Métiers de l’Audiovisuel (ISMA). Ce jour-là, ils étaient en train de faire une mise en boite. J’ai été intéressée par la manière dont les gens travaillaient.

C’est ainsi que je me suis inscrite. A la base, je voulais faire la réalisation, mais j’avais un peu peur que ça soit un peu trop strict. Du coup, je me suis inscrite en montage. Deux ans après, j’ai eu mon Diplôme Universitaire de Technologie (DUT). L’appel pour la réalisation était plus fort, j’ai donc repris les cours depuis la première année pour aboutir à une licence en réalisation cinéma et télévision.

« Ma motivation »

Je continue la réalisation parce que j’ai encore beaucoup de chose à dire. J’ai un grand besoin de m’exprimer et je le ferai.

« Le projet qui m’a le plus marqué »

Le tournage de mon court métrage « Italè » m’a le plus marqué. C’était ma première expérience. Malheureusement, après le tournage de la première séquence, mon portable a été volé. En plus,  j’étais souffrante. J’ai dû prendre mon courage à deux mains et continuer. Après le tournage, j’ai fait le montage en étant sur le plateau d’une série. J’ai eu la chance que le monteur soit également sur cette production. Donc, on travaillait dès qu’on avait un créneau. C’était vraiment difficile et très fatigant. Après la première phase du montage, mon monteur et moi sommes tombés malade.

Mais ce fut malgré tout une très belle expérience. Cela m’a permis de comprendre que le métier de réalisateur n’est pas pour qui veut puisqu’il est challengeant. J’aime les défis parce que cela m’amène à réfléchir autrement, à pousser mes limites et à trouver des solutions. Il faut vraiment avoir un leadership pour s’en sortir. C’est passionnant, c’est fun, j’adore !!!

Ma manière de visualiser les films

Avant de regarder un film sur Netflix par exemple, je lis d’abord le résumé. Mais lorsque c’est un film qu’on m’a copié, il n’y a pas de résumé donc je fais des recherches sur  Google. Parfois c’est juste l’affiche qui m’attire. Lorsque je regarde un film, j’accorde une attention particulière à la manière dont l’histoire a été abordée et racontée, au jeu d’acteur, comment l’action a été filmée pour valoriser le personnage. J’analyse comment le thème a été traité et je détermine une nouvelle approche à laquelle j’ajoute ma touche personnelle au cours du traitement.

Je regarde aussi comment les séquences sont tournées. Quand un mouvement de plan m’intéresse,  je filme la partie avec mon téléphone que j’envoie à mon cadreur. Je lui explique que j’aimerais avoir ce mouvement de caméra pour telle séquence de mon film. Et on en discute. Lorsqu’un film m’intéresse, j’ai un dossier spécial dans lequel je le mets pour une deuxième visualisation, parfois plus. 

Aptitudes à avoir pour être un bon réalisateur ou une bonne réalisatrice

Quand on veut faire quelque chose, il faut bien le faire. Et pour bien faire, il faut avoir l’information et la formation. La formation c’est primordiale. On peut avoir des prérequis en faisant la pratique sur le tas, mais pour se démarquer des autres, il faut forcément se faire former.

Il faut également passer sur des plateaux de tournage. Moi, j’ai appris plein de choses sur des plateaux de tournage qu’on ne m’a jamais dites à l’école. Les deux vont de pair. Même si tu te fais former et que tu n’es pas dans la pratique tu seras nul. Tu auras la connaissance, mais tu ne seras pas compétent. Dans le domaine, on ne demande pas forcément le diplôme, mais ce que tu sais faire.

« Ce métier ne paie pas les factures »

Les cinéastes béninois ne vivent pas encore pleinement de leur passion. Ce métier ne paie pas les factures. Franchement, si quelqu’un doit venir dans le monde audiovisuel, qu’il soit très polyvalent et performant. En plus de ma casquette de réalisatrice, je suis également maquilleuse cinéma. Donc lorsque je n’ai pas un projet en cours d’exécution, on me sollicite et je vais travailler sur d’autres plateaux de tournages. Parallèlement, j’apprends énormément des autres et je maximise mes acquis pour mes projets personnels.

Fleur Hessou Maquilleuse de cinéma

Le cinéma selon Fleur Hèssou

Le cinéma c’est l’expression des émotions. C’est un canal pour faire passer un message, toucher la sensibilité des gens. Il permet de partager son opinion, quitte à ce qu’elle soit acceptée ou pas. Ce qui me captive dans ce monde du 7ème art, c’est cette possibilité de pouvoir se faire entendre, s’exprimer, faire passer son point de vue, faire des dénonciations.

Le cinéma au Bénin  

Un effort est fait. On espère vraiment que ça va suivre. Le cinéma, c’est une chaine de production. Malheureusement, je n’ai jamais entendu parler au Bénin de la filière « diffuseur » par exemple. Si tu produis et que tu n’arrives pas à écouler, ça veut dire que tu travailles à perte. Il faut forcément que les gens réfléchissent autrement et qu’ils pensent à développer cette chaine. Quand tu sais que tu as un bon producteur et un bon diffuseur, tu peux tourner sans arrêt.

Dernièrement, il y a eu des discussions entre réalisateurs pour voir dans quelle mesure aller vers les consommateurs. On pense à une tournée de projection de films locaux, qui permettra au grand public de prendre réellement connaissance de ce que nous faisons à partir d’un forfait. 

Il y a Canal Olympia qui a fait un pas dans le domaine. Depuis qu’il est là, la plupart vont au cinéma. Ils font même des guichets fermés, mais Canal Olympia seul ne suffit pas. Il faut que des particuliers ou le gouvernement investissent pour qu’on ait des salles de cinéma, parce qu’on en a pas réellement ici, alors qu’il faut projeter dans des salles et dans les conditions qu’il faut. 

Le FIFF Cotonou

Cela fait plaisir qu’il y ait un festival qui pense non seulement aux femmes cinéastes mais surtout aux réalisatrices. C’est motivant parce qu’il y a très peu de réalisatrices au Bénin. La femme doit pouvoir s’exprimer et prendre confiance en elle.

Par rapport à l’organisation du Festival International des Films de Femmes de Cotonou, j’apprécie la rigueur de l’initiatrice Cornélia Glèlè par rapport à sa ponctualité. J’adore la sélection des invités et du jury. Parlant des invités, l’année passée c’était l’actrice, réalisatrice et productrice Delta Akissi qui nous a honoré de sa présence. Fatou Jupiter Touré était présente cette saison. Ce sont des femmes qu’on a connu, qui nous ont touché, impressionné et qu’on a découvert au FIFF. Des femmes qui ont partagé avec nous leur expérience professionnelle. Sincèrement,  longue vie au FIFF.

Ketsia ZINZINSOUHOU

Cet article a été rédigé dans le cadre de la seconde édition du Festival de Films de Femmes de Cotonou (8-12 février2022).

Ketsia ZINZINSOUHOU participante à la formation en critique
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